On l’a tous entendu un jour. Dans une file d’attente pour une collab Travis Scott. Sur un forum devenu cimetière numérique. Ou dans la bouche d’un pote qui a raccroché les Jordan pour des Birkenstock. Cette phrase, mi-nostalgique, mi-aigri : « le sneaker game, c’était mieux avant. »
Mais avant quoi, au juste ? Avant les bots ? Avant les raffles à 3h du mat’ ? Avant que Balenciaga ne colle une semelle de Trail à une pantoufle ? Difficile à dire. Mais cette sensation flotte dans l’air comme une odeur de simili cuir surchauffé : un parfum de désenchantement.
Avant, c’était surtout plus simple
Je vais pas te mentir, je fais partie de ceux qui ont connu l’époque où un restock n’était pas un événement. Où les Yeezy se vendaient chez Courir. Où tu pouvais tomber sur une Air Max 1 Atmos à -30% pendant les soldes (je déconne). Pas parce qu’on était des génies du bon plan. Juste parce qu’il n’y avait pas encore un million de gars (et de filles) prêts à vendre un rein pour une box orange. Le sneaker game, c’était une passion de niche. Une chasse. Une culture de l’underground. Pas une course à l’algorithme ou à la spéculation.
Mais voilà. Les temps changent. Et parfois, c’est pas très joli à voir.
De la passion au business
Quand la culture devient industrie, les règles changent. Et le sneaker game n’a pas échappé à la règle. Le basculement ? On pourrait dire que ça a commencé avec Kanye. Ou Off-White. Ou même plus tôt, avec le boom des blogs sneakers début 2010. Mais en réalité, c’est la tectonique des plaques culturelles qui a fait bouger le sol sous nos pieds. Les marques ont flairé le filon. Et les passionnés sont devenus des cibles marketing. La sneaker n’est plus un symbole de style ou de rébellion. C’est une ligne dans un tableau Excel. Un KPI. Un produit d’appel. Aujourd’hui, tout le monde veut sa paire « exclusive ». Même ceux qui ne savent pas qui est Tinker Hatfield ou ce que signifie « OG colorway ».
Tout le monde aime les sneakers. Et c’est peut-être ça, le problème. Là où certains voient une démocratisation, d’autres voient une dégradation. Et soyons honnêtes : ce n’est pas le fait que les sneakers soient devenues populaires qui gêne. C’est comment elles le sont devenues. À force de collaborations à la chaîne, de storytelling surjoué et de packaging luxueux, la basket est passée du bitume au musée. On ne les porte plus. On les expose. On les vend. On les « flippe ». Même le mot « sneakerhead » a changé de sens. Avant, c’était un nerd de la semelle. Aujourd’hui, c’est un influenceur qui shoote ses Air Jordan 1 Dior sur fond de Bentley louée.
Le paradoxe du hype
Le pire, c’est qu’on est complices. On râle contre les raffles truquées mais on les tente toutes. On dénonce la hype mais on scrute chaque leak sur @kicksfinder. On critique les revendeurs mais on revend nous-mêmes pour financer la prochaine paire. C’est ça, le grand paradoxe du sneaker game en 2025 : on sait que ça tourne en rond, mais on continue de courir dans la roue.
Et les marques dans tout ça ?
Elles jouent le jeu. Trop bien, même. Nike fait du rétro en série limitée, puis le réédite, puis le « ré-imagine ». adidas ressuscite ses archives, les repeint en beige et les appelle « Maison Margiela ». New Balance surfe sur le dadcore comme si c’était du punk. On est passé de l’innovation à la nostalgie recyclée. De la performance au lifestyle en carton.
Et pourtant… on replonge à chaque fois. Parce que dans le fond, on aime ça. Cette petite montée d’adrénaline quand une paire drop. Ce frisson de posséder quelque chose que d’autres n’ont pas. Ce goût amer mais familier du L sur SNKRS.
Est-ce qu’on a grandi… ou est-ce le game qui a vieilli ?
Peut-être qu’on projette nos frustrations d’adultes sur une passion d’ado. Peut-être qu’on s’attendait à ce que la culture reste figée dans les années 2000, alors que tout le reste évolue. Peut-être que ce n’est pas le sneaker game qui a changé, mais notre manière de le regarder. Parce que tout n’est pas à jeter. Il y a encore des projets sincères, des collabs bien senties, des modèles innovants (si, si, cherchez bien). Il y a encore des kids qui découvrent la culture sneaker comme une révélation. Des vieux de la vieille qui partagent leur savoir sans arrogance. Des shops indépendants qui tiennent bon.
Alors, c’était mieux avant ?
Pas sûr. C’était différent. Plus spontané, plus confidentiel, plus humain peut-être. Mais moins accessible, moins diversifié, moins riche aussi. Aujourd’hui, tout le monde peut entrer dans le game. Le revers, c’est qu’il faut chercher plus longtemps pour trouver du vrai. Ce qui manque, ce n’est pas tant « l’avant », c’est le sens. Pourquoi on aime les sneakers ? Pour l’objet ? L’histoire ? Le statut social ? Quand on saura répondre à ça, peut-être qu’on pourra se réconcilier avec le présent.
Et toi, t’en penses quoi ? Est-ce qu’on devient juste « des vieux c**s »… ou est-ce que le game a vraiment vrillé ?
Photo de la couverture : @richsretros