Notre dossier qui analyse les évolutions du sneaker game entre 2010 et 2020 s’achève avec cette partie. Elle pose les enjeux de la prochaine décennie s’annonçant tout aussi palpitante.
Stockx, une épine dans le pied d’ebay
Plusieurs plateformes ont essayé de concurrencer ebay. La plupart ont échoué. Depuis sa création, le site américain est the place to be pour la revente et l’achat de sneakers à l’échelle mondiale. Il règne en maître absolu jusqu’au milieu des années 2010. Des challengers ont faim et veulent la part d’un gâteau estimé à plus d’un milliard de dollars. GOAT, Kixify, Stadium Goods et surtout Stockx veulent capter le marché du resell. Né en 2016 sous les vestiges de Campless, un site collectant les données d’ebay, la place de marché devient rapidement la référence. Le Flight Club prend un sacré coup de vieux au passage. Josh Luber met à mal le leadership d’ebay. Avec les informations en temps réel comme à la bourse, vous devenez un véritable trader. En bon spécialiste, Stockx corrige les défauts de son concurrent. Prendre des photos, rédiger des descriptions, gérer la communication et la logistique, la vente sur ebay peut être fastidieuse. La contrefaçon et les scammeurs sont les pires ennemis de l’acheteur. Stockx simplifie la vie de tout le monde. Des experts veillent à l’authentification des paires. Les envois sont réalisés depuis leurs centres. Le gros fait d’armes de Stockx ? Avoir réussi à capter la Génération Z avide de collaborations et autres éditions limitées.
Les marques de sportswear : des engagements et des contradictions
Les marques doivent-elles s’engager ou non ? Aucune position n’est confortable. Un investissement sera salué par les uns et critiqué par d’autres y voyant une forme d’opportunisme. A l’ère des réseaux sociaux, on insiste à une certaine forme d’injonction à prendre part aux débats de société. Michael Jordan est une légende NBA mais sa neutralité pose problème. “Les Républicains achètent des sneakers”, cette phrase ne cesse de lui coller à la peau. Karim Abdul Jabbar ne l’épargne pas. Il aurait “vendu son âme dans l’objectif de vendre des baskets”. La donne change au cours de la décennie. A partir de 2016, MJ rompt le silence… tout en essayant de pas trop cliver non plus. Suite au mouvement Black Lives Matter, Jordan Brand s’engage à donner 100 millions de dollars pour lutter contre les inégalités.
Des sneakers servent parfois de support à l’expression des valeurs. Les packs Nike Betrue, Adidas Pride Pack, Puma Pride Month et New Balance Rainbow témoignent de leur engagement en faveur de l’acceptation de la communauté LGBT. Elles viennent en complément des messages diffusés sur Facebook, Instagram ou Twitter. Les équipementiers sportifs troquent leur costume de société commerciale contre celui d’acteur voulant contribuer aux changements des mentalités. En somme, elles deviennent bien plus que de simples marques.
Nike soutient activement Colin Kaepernick. Le joueur NFL est devenu un paria depuis qu’il a posé un genoux à terre durant l’hymne national. Ce geste contre les violences raciales lui vaut un rejet des franchises et les foudres de Donald Trump. Une campagne publicitaire puis une Air Force 1 à son effigie dans la foulée, enfoncent le clou.
L’idée que les ressources de la planète ne sont pas inépuisables a fait son chemin. La course au recyclage s’accélère. Nike commence timidement avec le Flyleather avant de s’engager pleinement dans le développement durable (le programme Move to Zero). Adidas s’avère actif. Le Primeblue et le Primegreen sont nés du partenariat avec Parley for the Oceans. Augmenter la quantité de sneakers produites à base de déchets plastiques tel est l’ambition de la firme bavaroise. Les concurrents des 2 gros sont au taquet. Vans propose toute une gamme vegan. Les Jaden Smith x New Balance Vision Racer répondent parfaitement aux exigences éthiques des consommateurs sensibles à la cause animale.
Existe t-il une limite aux prises de position ? Oui, Adidas en fait les frais pendant la séquence Black Lives Matter. Des voix s’élèvent pour dénoncer le racisme sévissant au sein du groupe allemand. Avant de donner des leçons, c’est toujours mieux de balayer devant sa porte. Nike n’est pas épargné. Le manque de diversité à l’intérieur du groupe se mêle à la manière dont les femmes sont traitées. En 2018, la vague #Metoo emporte quelques cadres du côté de l’Oregon. Sans parler de l’épineuse question des Ouighours. Le silence de Nike demeure assourdissant alors que le gouvernement chinois a recours au travail forcé dans les usines.
L’avenir s’assombrie pour les boutiques indépendantes
A l’origine, les boutiques indépendantes sont le centre névralgique de la culture sneaker. Un passionné y dénichait autrefois des modèles introuvables ailleurs. Ces shops connaissent un âge d’or lorsque le camp out est le sésame afin d’accéder à des exclusivités. Ce temps semble révolu. La situation actuelle est loin d’être au beau fixe. La faute au Covid ? La crise sanitaire précipite l’inéluctable. Les boutiques indépendantes ne vont pas toutes disparaître mais seules les plus adaptées aux évolutions en cours survivront. Avoir un e-shop performant et communiquer activement sur les réseaux sociaux sont le minimum. L’utilisation de ces outils ne suffisent point. Il faut créer “une expérience client” unique pour exister. La principale menace vient… de Nike. La marque de l’Oregon a quasi un droit de vie ou de mort sur les indés. Or, Nike privilégie son canal direct au détriment de partenaires historiques. La conséquence ? Des fermetures de compte sont à prévoir. Les enseignes ayant réussi à grossir et se développer à l’international (Kith, Sneakersnstuff…) sont les mieux armés.
Les “petites marques” n’ont rien à envier aux “grosses”
Pendant que Nike et Adidas s’écharpent, les “petites marques” font leur nid. Elles parviennent à séduire une clientèle à l’aide de sneakers de niche. Bon marché (à moins de 100€), élégante et facile à porter, la Vans Old Skool séduit une clientèle non négligeable. Les collaborations originales (Mickey, David Bowie, Nasa, Harry Potter…) sont disponibles de façon à satisfaire les fans. Vans prend le contre-pied de Nike. La firme orégonaise mise beaucoup sur un marketing de frustration quitte à perdre des clients las de ses manœuvres. Plus souple, ces “petites marques” font preuve d’une redoutable réactivité. Fila que l’on croyez perdu, sent parfaitement soufflé le vent de la nostalgie des années 90. Bien qu’une partie du public la raille, la Fila Disruptor rencontre un succès phénomènal au point de concourir au titre de reine des chunky sneakers.
La convergence des marques de luxe et de sportswear
Les grandes maisons de luxe veulent peser. Fini le temps des baskets bancals. Elles s’inspirent des modèles sportswear tout en leur appliquant les codes propres au marché du luxe (prix élevé, distribution sélective…). C’est un peu le retour à l’envoyeur. Les collaborations et autres éditions limitées de Nike, Adidas, New Balance, Reebok et consort, les utilisent. Réfractaires au départ, les entreprises de mode s’ouvrent à une nouvelle clientèle avide du prestige que procure une Balenciaga Speed Trainer ou une Triple S. Pourtant, la première est une Nike Air Huarache sans lacets…. Un business lucratif qui ne nuit guère à leur image, que demander de mieux ? Le prix est loin d’être un frein. Elles ne sont pas plus chères qu’une Air Jordan 1 Retro High Travis Scott sur Stockx.
Les marques de luxe n’ont aucune vergogne à s’approprier le design des sneakers vintage. La LV Trainer High Top de Virgil Abloh est un exemple criant. La chaussure montante pompe allégrement le design de la Avia 880. La Maison Marglia DDSTCK rend hommage d’une manière très appuyée à la Air Jordan 4 Fire Red. Des procès en perspective ? Dans l’immédiat non. Les géants du sportswear ne se sentent point menacés. Ils unissent même leurs forces. La Adidas Superstar Prada et la Air Jordan 1 Dior illustrent la convergence. Ces collaborations montrent par la même occasion que les digues ont sauté.
Photo de la couverture : @jump_air22